Tranché(e) par Jonathan C., Maelys P., Mireille O.-B.

Maelys, Mireille et Jonathan ont choisi les chemins de l’imagination pure pour explorer à leur manière ce retour sur le passé. 

Solo le pido a Dios , que la guerra no me sea indiferente , 

es un monstruo grande y pisa fuerte toda la pobre inocienca de la gente…

Mercedes SOSA

En l’honneur des poilus morts à la guerre, et à notre professeur de français…

« Quelle surprise quand le jeune lycéen de seconde, découvre un mystérieux carnet dans son grenier qui l’entraînera dans l’univers terrifiant de la guerre 14-18. Il en ressortira bouleversé et vous aussi. Savourez les péripéties d’un jeune homme optimiste, et rentrez dans un monde de chaos… »

 


 

 

Cela fait deux ans que je l’ai rencontrée , quand je repense à mon aventure là-bas, je suis nostalgique. Lucie lui ressemble tellement ! Elle me manque ! Mais je sais qu’elle vit encore et que grâce à notre enfant , je pourrai la revoir .Avec mon histoire , j’ai gagné le premier prix du projet . Mais cela n’a plus aucune importance maintenant . Seul le récit de mon aventure a de l’importance . Concentrez-vous bien car l’histoire de la réalisation de mon projet centenaire est extraordinaire !

« Le projet centenaire »

ou avoir un projet et n’avoir aucune idée en tête…

C’était un froid et morne lundi matin de décembre- de toute façon -« un lundi au soleil c’est une chose que nous n’aurons jamais »!- comme tous les lundi, je commençais à onze heures, par maths ! Pfff , la barbe ! J’étais -et je suis toujours – au lycée Clemenceau de Nantes. En seconde , en seconde 8 plus précisément . Au fait , je m’appelle Victor et j’ai seize ans .

Midi, déjà.

Le reste de la journée, se déroula avec une rapidité surprenante, en un battement de cils la journée était déjà terminée.

J’allai à mon entraînement de basket à 19h, oui je fais du basket , mais ça on s’en contre-fiche.

Après la séance je rentrai à la maison. Je pris une douche et me regardai dans la glace. Grand (un mètre quatre-vingt peut-être) , blond avec les yeux bleu-vert. Je me trouvai assez laid. Je faisais pâle figure à côté de mon ami Étienne. Lui était très bronzé, brun avec des yeux verts foncés. Il était beau. Et je ne serais jamais comme lui.

Je fus d’humeur maussade pendant toute la soirée. Pendant le repas mon père me questionna. :

« Qu’as-tu mon fils ? Tu as l’air patraque.

-Non ça va, je n’ai rien, lui répondis-je.

-Tu veux écouter une anecdote intéressante ? Sais-tu, mon gaillard, pourquoi nous avons, ta mère et moi, choisi de te donner ce prénom ? Non, bien sûr, tu ne le sais pas. Alors, je vais te le raconter : ton arrière-grand-père, le grand-père de ta mère était soldat pendant la première guerre mondiale. Il était héroïque et avait sauvé une tranchée. Mais une quinzaine d’années après il disparut mystérieusement sans laisser de traces. La seule chose que nous avons encore et qui lui appartient est son journal. Il est au grenier.

-Oui , d’accord, répliquai-je sur un ton blasé , mais quel est le rapport avec moi , avec mon nom ?

-Attends, j’y arrive. Ton mystérieux arrière- grand-père, n’a donc presque rien laissé, son nom n’est cité sur aucun monument aux morts. C’est donc pour honorer sa mémoire que nous t’avons appelé comme lui.

-Il se prénommait donc Victor ?

-Oui c’est cela. »

Après cette courte discussion j’allai me coucher, intrigué. Pour que mes parents m’aient donné le même prénom que lui, il devait vraiment être un héros.

Le lendemain matin en cours de français la prof annonça un grand projet sur plusieurs mois qui aboutirai à une note finale : «Comme vous le savez , nous somme en 2014. Cette année est une grande année , car il y cent ans de cela vos ancêtres combattaient pour la sauvegarde de notre mère patrie , la France! Vous aurez donc cette année l’honneur de leur rendre l’hommage qui leur est dû en participant au « projet centenaire » ! Vous devrez donc me rendre dans quelques mois un écrit parlant de la guerre . Vous pourrez travailler seul ou en groupe. Le gagnant recevra un prix. Alors , investissez-vous! Que le meilleur gagne et bonne chance à vous ! »

Un « projet centenaire » ?! Il fallait que je trouve un partenaire, je ne pouvais y arriver seul. Je fouillais la classe du regard à la recherche d’un camarade égaré mais tous les groupes étaient déjà formés. J’étais seul, même Étienne m’avait lâché. Comment allais-je faire un récit sur cette guerre ? Je n’y connaissais rien, je ne savais même pas par où commencer.

Soudain, une chose me revint : «  La seule chose que nous possédons de lui est son carnet », disait mon père. Mais oui ! la voilà ma solution , mon remède miracle ! Je n’aurais pas à chercher pendant des heures des informations , je n’aurais qu’à faire un résumé de ce journal et le tour serait joué. Je n’aurais sûrement pas la première place , mais qu’importe j’aurais une note correcte.

Rentré chez moi à la fin de la journée je fis en vitesse mes devoirs et pressé de découvrir l’objet mystérieux . Je montai au grenier.

La pièce n’était éclairée que par une petite lucarne. Les meubles étaient recouverts de draps. Tout y était poussiéreux , le sol , les murs et l’air lui même était poussiéreux. Et tout y était recouvert , surtout les murs, de toiles d’araignées. Cela faisait froid dans le dos. Le décor semblait provenir d’un autre âge. Au milieu il y avait une vieille glace.

« A table ! », cria ma mère, du premier étage.

J’allais redescendre quand quelque chose m’attira . C’était un petit carnet vieillot. Sûrement le carnet de l’ancêtre. Pris d’une envie de découvrir ses secrets , je l’ouvris : une écriture noire remplissait les vieilles pages jaunies. Je commençai ma lecture.  « Cher journal, nous sommes aujourd’hui le » Une sensation désagréable me saisit, mon corps ne répondant plus, je me sentis glisser sur le sol. Ma vue se brouilla et tout s’assombrit.

 

Premiers pas

Puis tout devint trouble.

Je sentis le sol s’affaisser sous mes pieds et je m’étalai lamentablement dans la boue. Passé la surprise, je me redressai et regardai autour de moi d’un air hagard ; au loin semblait s’étendre indéfiniment une lande boueuse où poussaient quelques rares buissons épineux, des gerbes de terre s’élevant par intermittence. Des cris, des détonations, des sifflements, des explosions retentissaient de toutes parts et m’assourdissaient. Des balles fusaient autour de moi et les obus me rataient de peu, mais je n’y prêtai pas attention, mon regard était braqué sur les cadavres m’entourant. Des monceaux de chair ensanglantée, plein d’éclats de métal, réduits en bouillie par les obus, truffés de balles. Les restes de ces soldats morts pour la France, à peine une cinquantaine de mètres avant les rangs de barbelés de la tranchée adverse. Je trébuchai parmi eux, piétinant leurs boyaux répandus, constituant une cible parfaite pour les tireurs embusqués en face. Jusqu’à ce qu’une masse se jette sur moi : « Qu’est-ce que tu fous, bon sang !!! ». C’était un gros bonhomme moustachu en habit bleu ; il me criait des ordres aux oreilles en postillonnant abondamment. Sur le coup je ne réagis pas, puis il me gifla et me réveilla complètement de ma torpeur :

« Oh! Gamin écoute-moi! C’est pas un jeu ici! Où t’as fourré ton casque?!

– Hein?!

– Mais qu’est-ce que tu fabriques dans cette tenue! T’as envie de crever où quoi! Pas de casque, pas de fusil, pas de pince, pas de grenade, même la Vierge est mieux armée que toi!

– Euh…On est où, là? »

Il prit un air de hibou béat devant ma question et sembla me prendre pour un fou.

« Ben…Au front!

-Au front! C’est quoi, ce délire! »

A ce moment-là, je m’attendais presque à voir le lapin de Alice au pays des merveilles surgir d’un trou et me demander si j’avais du fromage à raclette.

« Mais…C’est la guerre là? , lui demandai-je, hébété.

-Pour sûr que c’est la guerre! D’où tu débarques pour poser des questions pareilles !

-Et…On est quel jour aujourd’hui ? », dis-je en essayant d’être le plus décontracté possible, malgré les détonations et les éclats de boue soulevés près de nous.

« Le 13 avril 1917! Pourquoi ?»

Je restai pantois devant cette révélation. Ce ne pouvait-être qu’un rêve, cela devait être un rêve.

Mais tout semblait trop vrai, les explosions, les bruits de mitraille, les réactions de mon interlocuteur, tout démentait le rêve. Le poilu, qui semblait s’appeler Charles d’après sa plaque d’identité, me tira de mes réflexions et m’entraîna avec lui en rampant jusqu’à la tranchée française. Enfin il essaya. Je me sentis soulevé et projeté loin de lui parmi les barbelés.

L’explosion était si forte que j’en eus le souffle coupé, des sifflements plein les oreilles et de la terre dans les yeux. Je m’écrasai lourdement sur le sol et distinguai une dernière fois, avant de m’évanouir sous le choc, les restes calcinés de mon interlocuteur.

Lorsque plus tard, on me souleva pour me déposer dans un lit, j’entrevis le visage de celle que je connaîtrais sous le nom de Line.

Un étrange hôpital

Je crois me souvenir avoir rêvé cette nuit-là. Je me réveillai vers minuit, du moins d’après l’écran lumineux de mon portable, qui par bonheur était resté dans ma poche. Miraculeusement il fonctionnait toujours.

Autour de moi, des draps blancs. Des seringues, des brancards et des corps. Ces derniers étaient couverts de draps, rouges, cette fois. A cette vision, de nouveau ma vue se troubla.

Lorsque je rouvris les yeux, je ne distinguai tout d’ abord que des formes floues, indécises. Une, plus que toutes les autre, semblait se mouvoir au dessus de moi. Des sons heurtaient mes oreilles sans jamais parvenir à mes tympans : c’était pour moi une impression abominable. Je ressentais vaguement des fourmillements dans le bas des jambes, le contact d’un bandage peut-être. C’est au prix d’un effort surhumain que je levai entièrement mes paupières. Une femme était là. Elle n’avait pas plus de vingt ans. Ses longs cheveux bruns et lisses étaient relevés en un chignon négligemment rassemblé à l’aide de quelques épingles. Ses iris d’un vert profond tranchaient avec sa peau légèrement basanée . Pendant un long instant, je ne dis mot, attendant patiemment que la jeune fille m’accorde son attention. Lorsqu’ enfin elle leva les yeux de son ouvrage, nos regards se croisèrent, et je fus étonné par la vivacité de ses pupilles. C’est d’une voix chevrotante que je prononçai ces paroles : « Où sommes-nous ? »

Un sourire triste se dessina alors sur son si doux visage. « A l’hôpital. Ou à l’école, appelez cela comme vous voulez. Nous nous trouvons dans un de ces énièmes bâtiments réquisitionnés pour servir de points de rétablissement à l’armée. L’église, le château et même la grange de la vieille Lison assurent les mêmes fonctions. »

Je jetai un regard circulaire autour de moi. En effet, le lieu n’avait aucunement l’aspect propre et sécuritaire de nos établissements modernes du XXIème siècle.

Outre les brancards qui m’entouraient et que j’avais eu le loisir d’observer la veille, je pouvais à présent apercevoir des rangées de pupitres en bois massif repoussés contre les murs. Sur ceux-ci ne s’entassaient plus les cahiers, les plumes et les encriers comme il avait dû se faire autrefois, dans un temps qui nous apparaissait alors comme définitivement révolu. On y voyait à présent des peaux de mouton, quelques bassines et divers instruments chirurgicaux parmi lesquels je reconnus une seringue pour injection hypodermique dont la simple vue faisait tourner de l’œil. L’infirmière, qui avait suivi le mouvement de mes yeux, laissa échapper un rire rapide et charmant, avant de tenter de me réconforter : « Ne prenez pas garde à ces instruments de torture. Vous y avez certes échappé de justesse, et vous avez eu davantage de chance que votre camarade qui a amorti votre chute. Vous serez sur pied d’ici quelques semaines. » Je déglutis avec difficulté. Mon incompétence avait coûté cher à un de mes compatriotes, et la culpabilité montait à présent en moi, faisant naître un malaise grandissant. Ma sauveuse avait du percevoir mes soudains tourments, car elle s’empressa d’ajouter : « Il a perdu une jambe. Il partira avec le prochain train sanitaire pour rejoindre Paris, où sa famille l’attendra. Croyez moi, beaucoup ici seraient prêts à payer aussi cher, ne serait-ce que pour quelques jours de permission, car les troupes perdent peu à peu de leur noble courage. »

Je jetai un coup d’œil à mes voisins. La plupart gémissait, d’autres paraissaient ne plus avoir cette force. Tous s’entassaient comme des bêtes sur des matelas posés à même le sol, sur des canapés ou pire, sur de la paille. Le tout avait sûrement été réquisitionné dans les environs. Des mots m’échappèrent alors : « Mais… Une jeune fille aussi belle et jeune que vous a-t-elle vraiment sa place dans un lieu aussi sordide que celui-ci ? » Son regard se durcit : « Nous vivons tous des années sordides. Nos pères et nos frères meurent au front. Bientôt, la France ne pourra plus fournir assez d’hommes pour faire face à l’Allemagne. C’est un combat permanent, sans trêve, pour le ramassage des blessés. Les boches installent sournoisement des batteries lors de nos courts armistices et nos morts pourrissent depuis des mois sur le champ de bataille. La moitié de nos établissements sanitaires sont déjà tombés aux mains de l’ennemi et le premier hôpital convenable se trouve à plus de quatre jours de trajet. Nous autres bénévoles savons à peine soigner les blessures dues aux balles de shrapnels. Et tandis que la moitié des jeunes gens de ce pays, comme vous et moi, offre ses services à l’état, le manque de personnel médical est toujours flagrant. Alors oui, soldat, j’ai ma place ici, et j’œuvre pour préserver mon peuple et pour sortir de la guerre, tout comme vous. »

Je n’avais encore jamais vu cette guerre autrement que comme une terrible erreur, une boucherie, un règlement de comptes entre des nations aux noms presque oubliés. Ce jour-là fut pour moi une révélation, je découvrais un nouveau visage de la grande guerre : celui du petit peuple, des insignifiants et pourtant si courageux poilus. Simple instrument des jeux stupides de chefs d’état, mais dont la rage de vaincre se mêlait à l’instinct de survie, et chez qui l’amour de la patrie, qu’avaient fait grandir les discours des politiciens cruels et sans cœur, faisait naître au fin fond de tranchés boueuses une fierté et un esprit d’équipe sans limite aucune. « Tous les belligérants étaient persuadés de la formidable vérité de leur cause » disait Becker, et de là tous tiraient force et courage : soldats allemands, français, belges ou serviteurs de l’empire ottoman, aucun n’avait de motivations bien distinctes. Toutefois, à cette date, tous savaient qu’après trois ans dans la boue et le sang, l’ardeur des troupes finirait par flancher. Le régiment dans lequel je me trouvais avait d’ailleurs déjà subi des mutineries, réprimées par des exécutions.

Je passai un mois allongé sur mon brancard. L’infirmière, qui répondait au nom de Line, me tenait compagnie. Nos esprits vifs et curieux se retrouvaient sur des sujets intemporels et nous passions nos nuits à dialoguer et à débattre à voix basse dans l’obscurité de la salle de classe désertée par les écoliers. Nous refaisions le monde, redessinions un futur qu’elle ne connaissait pas. Je lui parlais de téléphone portable, de tablette et de TGV, elle me demandais si j’étais fiévreux. Nous échappions à la misère de la guerre pour quelques heures par nos discussions. Parfois, elle m’apportait des nouvelles de lointaines victoires, piochées au détour d’un paragraphe de « L’Information » ou tirées des journaux servant d’emballage aux boîtes de Cadum. La plupart s’avéraient fausses, simple construction politique cherchant à remotiver les troupes. Les dates à retenir pour le brevet des collèges structuraient mon quotidien. La Russie s’apprêtait à quitter les alliés pour entrer dans une sombre révolution. ‘’La guerre civile suivra ’’, disait-on sans tort.

Line avait rapidement remarqué mon absence d’identité et, espérant m’éviter les châtiments que l’on réservait aux déserteurs, elle était parvenue à me procurer un ‘’ordre d’appel sous les drapeaux’’ avec un numéro de matricule; l’uniforme bleu et le képi me seraient remis à mon retour sur le front. Je portais désormais le nom de Pierre Gécourt, soldat 4857, orphelin et engagé volontaire auprès de la 3ème compagnie, 3ème section, 129ème régiment, et mes sentiments pour Line devenaient plus qu’amicaux.

Je retrouvai rapidement l’usage de mes jambes, et ce qui devait arriver arriva : puisque je pouvais de nouveau marcher et courir, le combat m’attendait. Déjà, Français, Américains et Anglais alliaient leurs forces pour lancer un assaut que l’on disait final au Chemin des dames. Certes, nous savons aujourd’hui que ce ne fut qu’un fiasco : en échange de la perte de millions de vie, ce ne furent que trois petits kilomètres que la France eut l’occasion de reconquérir : l’évidence que toutes les forces armées ne pouvaient venir à bout de nos frontières. Toutes les ressources étaient mobilisées : la chance souriait enfin aux alliés, murmurait-on alors. L’entrée des États- Unis dans le combat impliquait l’arrivée d’un matériel bien plus performant que nos canons 105 de moins grande portée, et cette avance technique nous donnait un avantage non négligeable face à l’ennemi. On annonçait même l’arrivée de tanks.

En ce mois de septembre 1917, je remerciai Line pour ses bons services, et c’est le cœur empli d’amour que je déposai sur ses lèvres un doux baiser. Toujours pleine de belles intentions, ma bien-aimée avait pris soin d’ajouter aux conserves de thon et de sardine qui composaient ma ration deux boîtes d’un solide pâté de foie qui me tiendrait au corps. Elle m’avait également procuré un passe-montagne pour l’automne à venir, car la guerre promettait de durer encore un an. Une des plus belles années de la vie des combattants, d’une vie à la durée bien réduite pour la plupart d’entre eux .

Je retrouvais le champ de bataille dans un état d’esprit qui différait en tout point de celui de mon arrivée. J’étais conscient que j’allais m’éloigner pour un temps de toute marque de civilisation. De nouveau mes habits seraient tachés de boue et je m’apprêtais à vivre des semaines sans me laver aucunement. Dans les tranchées inondées le chant des obus rythmerait mes journées, les cadavres et les soldats sans éducation seraient mes compagnons, mon arme deviendrait ma femme et la désolation mon paysage : je savais à présent à quoi m’attendre. J’avais trouvé dans les paroles de Line la force nécessaire pour affronter la réalité de la guerre et ma rage de vaincre, de survivre, était encouragée par le plus beau sentiment qui soit, bien plus fort que la peur ou le désespoir : l’Amour .

Le Front

Les premiers temps se passèrent sans encombre, j’avais encore les souvenirs de mon aventure hospitalière bien en tête et ce séjour au front m’apparaissait comme un charmant épisode journalistique. Je me promenai dans les tranchées et profitai de mon temps libre pour apprendre parfaitement la topographie des lieux.

Notre front était constitué de cinq tranchées séparées de 500m et étendues sur 4 km: la tranchée la plus proche de l’ennemi, que nous appelions la tranchée de l’Enfer, celle d’après, la tranchée des Flammes et ensuite les tranchées surnommées tranchées de la Boue, de la Gadoue et de la M…, là où était l’infirmerie. Présentement, je logeais dans celle surnommée Gadoue dans une petite cahute de planches et de terre que je partageais avec Nicolas Guessière , un soldat du même âge que moi. Les buttes alentour étaient occupées par notre artillerie et celle des allemands, j’allais rendre visite de temps en temps à un artilleur avec qui je m’étais lié d’amitié et qui m’informais de l’avancée des combats, les obus précédant le plus souvent la charge.

Nos journées étaient longues, consacrées aux travaux manuels et à la consolidation des fondations de nos tranchées, la pluie et les bombes ayant fini par les remplir de boue et de gravats. Les assauts se succédaient au feu, tantôt nous attaquions ,tantôt c’étaient ceux d’en face, ce qui entraînait un nombre incalculable de blessés et une plus grosse charge de travail. Le froid et l’humidité ainsi que le manque d’hygiène rendaient la vie passablement dure et l’atmosphère générale ne détonait pas avec celle décrite dans les livres. Le moment où notre section devrait monter au feu me semblait lointain et je n’envisageais pas sérieusement de mourir. Ma connaissance de la guerre et de l’armée se limitait au jeu vidéo, mais j’avais quand même tenté d’élaborer des stratégies imaginaires pour augmenter mes chances de ne pas me faire tuer. De ces cogitations, j’avais retenu ces points :

-Si c’était nous qui portions l’assaut, il fallait que je m’embusque dans un trou d’obus et essaye d’atteindre la tranchée adverse en rampant pour lancer mes grenades, évitant les obus grâce à leur sifflement caractéristique que je m’étais habitué à déchiffrer pour détecter leurs points de chute.

-Si nous essuyions l’assaut, je restais caché derrière les sacs de sable et tirais sur les Allemands en vue. Même si l’ennemi perçait nos lignes, ma grande habileté à manier mon fusil (j’avais gagné des concours de tir, enfant) et mon expérience à Call of Duty me permettraient de résister assez longtemps jusqu’à l’arrivée des secours.

A ce moment-là je ne doutais pas que j’allais pouvoir mettre en application ces stratégies.

La relève

Le Lieutenant nous mena jusqu’au poste A, au Nord de « l’Enfer », où nous prîmes rapidement position. Pour l’instant tout était calme. La section précédente avait déjà essuyé beaucoup d’assauts et en avait mené le même nombre, les Allemands se tiendraient tranquilles pendant un certain temps en attendant leur propre relève. Le Lieutenant s’attendait donc à recevoir les horaires du prochain combat sous peu, l’état-major préférant profiter des troupes fraîches pour balayer les ennemis, épuisés. Malgré cela les jours se succédèrent normalement et je finissais par ne plus me soucier de ma situation.

Un matin, le Lieutenant annonça que le signal du combat serait donné le surlendemain, cinq minutes après le départ des tirs de mortier à dix heures précises. Après cette nouvelle, Nicolas ne parut plus de la journée et je ne le vis qu’au soir. Il semblait très pâle et fatigué. Le lendemain il avait dépéri, il ne mangeait plus et ne parlait plus à personne. Je m’inquiétai de son état et lui posai des questions mais il me repoussait sans cesse. Je ne comprenais pas ce qu’il lui arrivait jusqu’à ce qu’un autre poilu me l’explique. J’étais en train d’essayer d’aborder encore une fois Nicolas, quand Pierre Navarre m’enjoignit à le suivre et me prit à part :

« Bon, gamin, il faut que je t’explique. Nicolas a vu l’engoulevent et c’est le signe de sa mort au prochain combat.

– Quoi ?!

– Victor, la guerre est une chose sérieuse et tu es le seul parmi nous à ne pas le comprendre. La guerre est une ogresse qui tue aussi bien les ennemis que les alliés et ses choix sont dictés par des forces supérieures, ta vie ou ta mort ne dépendent pas de la force de l’un ou de l’autre, et cela tu ne le comprendras que demain. » Et il s’en alla sans se retourner.

J’étais stupéfait par ses paroles et par sa profonde sincérité. L’avis de ce soldat plus expérimenté que moi me laissa un doute sur mes propres chances de survie. Cette nuit-là je ne dormis pas, ressassant tout ce que Pierre m’avait dit. L’image de la section précédente qui ne comptait plus que quatre membres resta imprimée sur ma rétine jusqu’à l’aube.

Le signal de l’Ogre

Je me levai très tôt et courus me poster près des barbelés. Le Lieutenant y était déjà.

« Salut, jeune homme ! Levé si tôt ? La plupart de tes camarades dorment encore, ils sont plus effrayés que toi par ce qui les attend », me lança-t-il d’humeur joyeuse.

«  Oui, Lieutenant ! », lui répondis-je, mal assuré.

Il sourit devant ma tête de déterré et m’observa longuement.

« Tu sais, moi aussi j’ai peur. Si je me lève tôt, ce n’est pas dû à mon grade, c’est que je suis terrifié. Terrifié à l’approche du combat. Bien que Lieutenant, je suis un simple soldat comme les autres ;le grade ne rend pas immortel et le salut ne vient pas d’aptitudes particulières, mais du fait de cette peur. Cet instinct de survie qui m’a permis de tuer plus vite que l’adversaire et de sauver mes camarades. Cet art de tuer pour vivre. La loi de la jungle. »

Il se tut pendant quelques instants et reprit :

« Les Lieutenants sont bien les seuls à comprendre ce que vivent les soldats, ils l’ont vécu, les autres gradés n’en savent rien et me révoltent par leurs ordres. Pour eux nous sommes des pions qui avancent sur un échiquier, le sacrifice de quelques-uns mène parfois à la victoire et ce sacrifice les désole, parce que cela leur enlève un bras armé pour tuer les Allemands. Les officiers contrôlent tout et prévoient tout de cette guerre nouvelle où les actes héroïques n’ont plus de place et où les tactiques guerrières apprises à l’école des officiers ne s’appliquent plus. Le poilu ne voit rien sous le même angle;pour lui la guerre est une personne qui dévore tout. Les balles, les bombes, les morts ne viennent pas de l’homme mais de la guerre. En vérité, les armes assurent la victoire et permettent de tuer mieux et plus, ce n’est que parce qu’il faut bien de la chair à obuser, à brûler, à trancher, à percer, à déchirer que nous sommes là. Cette omniprésence des armes ne laisse aucune chance au poilu. Les obus tombent comme une pluie et les balles comme une grêle, chacune choisissant sa proie et chacune venant de nulle part. Les Français tuent les Allemands et la guerre tue les français. »

Je me tus après ce monologue et attendis en astiquant mon fusil. Notre section se réveilla peu à peu, Nicolas toujours aussi pâle et les autres poilus de très mauvaise humeur. Le Lieutenant expliqua que nous allions devoir prendre un poste avancé avec l’aide d’une autre section arrivant de plus au Sud. Ce poste était séparé des autres tranchées et donc plus vulnérable. Nous le prendrions chacun par un côté et les submergerions bientôt en nombre. Chacun s’assoit à couvert et attend l’heure fatale, en astiquant son fusil, observant le paysage bosselé que nous allions devoir traverser en courant, tremblant et nous évitant du regard.

Le Lieutenant se leva et sortit un revolver, tout le monde se prépara à ce signal, se plaça pour partir le mieux possible. L’artillerie se déchaîna. Le Lieutenant tira en l’air. La bataille venait de commencer.

Le Feu

Je m’élançai au dehors et passai parmi les barbelés. Pierre me suivait. Des gerbes de terre se soulevaient, des trous fumants apparaissaient et les explosions retentissaient de toutes parts. Les tranchées ennemies se rapprochèrent. Des têtes surgirent, les détonations claquèrent, mais je courais toujours, j’épaulais mon fusil, tirais, rechargeais, tirasi là où ça bougeait, tirais où je pouvais. Un poilu s’effondra. Je n’arrêtai pas ma course, volai comme le vent, et sautai dans la tranchée. Le boyau était jonché de corps. J’entendis des exhortations sur ma droite et je me dirigeai immédiatement dans cette direction. Une jeune recrue courait avertir les autres Allemands pour qu’ils sortent des trous où ils se cachaient. Je mis en joue, visai, plaçai mon doigt sur la gâchette…le jeune homme courait toujours…il se rapprochait…des soldats commençaient à se montrer pour venir à son aide…je tirai et il s’abattit au pied de ses amis.

J’avais maintenant toute une section en face de moi, prête à tuer, mais je ne bougeais pas. La recrue ne bougeait plus. Elle était morte et je l’avais tuée. Les Allemands s’approchèrent, vissèrent leur baïonnette et s’élancèrent vers moi. Dix lames d’acier étincelant allaient me percer, quand Nicolas sortit d’un boyau transversal et tira dans le tas, tuant le premier homme d’une balle à bout portant. D’autres poilus surgirent derrière moi et tirèrent eux aussi perçant les ventres, éventrant sans répit ;les Allemands furent rapidement submergés et se replièrent dans les autres boyaux, mais ils furent pris à revers par l’autre section.

Le reste de la journée se passa à ramasser les morts et à les enterrer, nous avions perdu dix de nos hommes et le Lieutenant était mort, tué par une grenade. Le sergent vint nous rendre visite et annonça que ce poste n’était plus stratégique, que nous allions devoir marcher jusqu’à un autre front où notre présence serait plus utile. J’allai faire mes adieux à Line, la mort dans l’âme j’espérais la revoir lors de mes permissions. Je lui jurai de lui faire parvenir des lettres.

Lettre du 13 février 1916 :

Bonjour Line,

Le temps est magnifique aujourd’hui. Comme je te l’ai déjà dit dans ma lettre précédente nous nous dirigeons vers Verdun. Tout va pour le mieux les paysages sont agréables.

L’approche du front ne me laisse pas indifférent, les rumeurs du combat s’entendent déjà, certains soldats se sentent de moins en moins bien. Le choc de ma première bataille est toujours là, je ne pense pas que je pourrai éviter les combats encore longtemps. Cela fait cinq fois que des replis de dernière minute me sauvent, mais j’ai peur que ce soit bientôt mon tour. Bon…je dois t’inquiéter avec mes ronchonnements…J’espère te voir bientôt.

Victor

Lettre du 18 février 1916 :

Ma pire peur vient de se réaliser, demain je monte au feu ! J’espère que mon silence ne t’a pas inquiété mais nombre de mes lettres ont été arrêtées par la censure. Un ami qui travaille là-bas m’en a averti et désormais je ferais attention à ne pas déverser trop de fiel dans mes messages…Cela vaut peut-être mieux que tu ne les aies pas eues car je me doute que tu serais accourue pour me tirer de là. Avec tout mon amour.

Victor

Lettre du 19 février 1916 :

Pierre est mort. Il a été touché par un obus au milieu du « No man’s land », bien sûr je n’ai rien pu faire, j’étais en train de combattre, mais sa mort ne sera pas vaine car nous avons pris la tranchée ennemie. J’irai présenter mes condoléances à sa famille qui habite le coin, mais les travaux de la tranchée m’occupent et la pluie n’améliore rien. Le Lieutenant Robert va recevoir la médaille militaire pour ses actes héroïques, j’en suis content, il est très gentil !

Je pense à toi.

Victor

Lettre 23 février 1916 :

Bonjour Line !

J’ai bien reçu ta lettre et suis désolé que tes parents soient malades, ils vont sûrement se rétablir. Tout va bien ici et les combats se sont arrêtés, j’attends de connaître notre prochaine destination, je t’enverrai sûrement des lettres de là bas !!! Sinon, le Lieutenant Robert m’a signalé que les permissions seront attribuées sous peu. Je les attends avec impatience, je t’aime.

Victor

Lettre 26 février 1916 :

Finalement la France a toujours besoin de moi !! J’ai raté la première distribution d’avis de permission mais je pense pouvoir gagner au second tirage, dans trois jours. Les jours sont gris ici et l’hiver se fait sentir, la neige va peut-être tomber, j’espère au moins passer ma permission au soleil avec toi !

A bientôt.

Victor

Télégramme du 29 février 1916 :

Suis à la gare_Prépare toi_J’arrive à 8 heures_Victor

Le retour

Pendant le trajet en train je me liai d’amitié avec un autre poilu. Il s’appelait Claude et revenait lui aussi d’un séjour avec sa dulcinée. Comble de coïncidence, il allait au même endroit que moi !

Arrivé à destination, je me dirigeai vers le poste de ma section et retrouvai Nicolas. Les semaines qui suivirent se passèrent sans rien à signaler, les Allemands se tenaient tranquilles, les assauts se déroulaient ailleurs. Puis les officiers semblèrent se rendre compte de notre inertie et nous fûmes bringuebalés entre les différents points stratégiques pendant plusieurs mois. Line m’annonça par lettre qu’elle était enceinte , j’allais être Papa !

Dès ma permission je me jetai dans le train pour la rejoindre. Elle semblait aller le mieux du monde, même si je me doutais qu’elle avait peur que je meure. Ces trois jours furent les plus beaux de ma vie. La rapidité avec laquelle je dus repartir par le train me désola et je restai morne jusqu’à l’arrivée, où Nicolas m’accueillit pour me féliciter. Je posai le pied sur les marches.

Une époque d’adoption

Nous sommes aujourd’hui le 6 août 1926. Je reprends à ce jour l’écriture de ce carnet. J’y ai regroupé l’essentiel de mes souvenirs de guerre, laissant ainsi au XXIème siècle un témoignage de plus sur la grande guerre.

Je ne désire désormais en aucun cas retourner d’où je viens. J’ai construit ma vie ici, au XXème. J’y ai ma famille, mes habitudes. Voila une dizaine d’années maintenant que télévision, ascenseur et GPS sont sortis de ma vie. Je laisse cela à mes descendants, espérant que mon fils Benjamin vive assez longtemps pour voir l’homme marcher sur la Lune, et que mes petits-enfants soient là lorsque la France gagnera le mondial de football. Pour ma part, je finirai probablement ma vie loin des écrans et je m’en estime heureux. Aujourd’hui encore, Line, ma femme, évite autant que possible d’aborder avec moi le sujet de mon passé, c’est-à-dire de son futur. C’est pour moi un sujet délicat et je me sens incapable de lui avouer la vérité. L’esprit humain est décidément une machine bien complexe : j’ai tué des hommes de sang-froid et je me vois pourtant incapable de parler à celle que j’aime.

Tout au long de mon périple, la chance m’aura suivi. Mon nom ne figurera jamais dans la liste des onze millions de morts au combat, pas même dans le bilan des dix-sept millions de blessés, et Dieu merci, j’aurai aussi échappé à la terrible ‘’gueule cassée’’. La guerre unit les hommes face au danger, et nous ne pleurerons jamais assez nos innombrables pertes.

Mais les choses sont ce qu’elles sont, et nous ne pourrons modifier le cours des événements ; un seul voyage dans le passé me suffira largement.

Après la guerre, Line a accepté de construire sa vie à mes côtés, et nous avons élu domicile dans ma Bretagne natale, au sein d’une charmante petite ferme excentrée qui, je l’espère, nous permettra de nous éloigner de la menace de la seconde guerre mondiale. En effet, le traité de Versailles, il y a de cela plusieurs années maintenant, m’a rappelé la réalité de ce danger. L’Allemagne, déjà, humiliée par ce « Diktat » voit naître les premiers mouvements nationalistes. Les descendants de l’Autriche-Hongrie, la Tchécoslovaquie notamment, ont du souci à se faire. Quant à moi, au sein de cette obscure époque, je compte sur ma connaissance des faits… J’ai parfois le plus grand mal à cacher mon inquiétude à mes proches. A l’instant même, la peur me tenaille le ventre et le crâne. Mais est-ce vraiment l’inquiétude ? J’ai la certitude d’avoir déjà ressenti cette douleur par le passé, il y a bien longtemps de cela …

Le retour II

ou retourner peiné dans un endroit aimé…

Je ressentis une impression de « déjà-vu » , et ma vue devint trouble. Une sensation déjà éprouvée il y a longtemps me saisit. Non ! Pas aujourd’hui ! Non , je ne voulais pas retourner là bas , je ne savais pas dans quel état j’allais retrouver ma famille ni si, justement, j’allais la retrouver . Et Line , ma tendre Line, et notre bébé ! Les reverrais-je ? Ou allais-je devoir les quitter pour l’éternité . Je n’avais même pas pu leur faire des adieux décents. Je voulus crier mais aucun son ne sortit de ma bouche. Ma tête tourna , ma vue se brouilla et une fois encore -mais cette fois-ci pour la dernière fois- tout s’assombrit .

Je me retrouvais dans un endroit sombre , l’air y était poussiéreux . Jetant des regards autour de moi je remarquai que les meubles dans la pièce étaient couverts par des draps jaunis et des toiles filandreuses d’araignées couraient sur les murs . Une petite lucarne d’où s’échappait un rai de lumière blafard se trouvait à ma gauche .

Pendant un court instant je restai interdit, puis, tout me revint . J’étais bien rentré . Mon aventure était sûrement un rêve. J’avais toujours le carnet de mon arrière-grand-père entre les mains . Il ressemblait en tout point à celui dans lequel j’avais écrit le récit de ma vie. Sûrement une coïncidence. Je me regardais une seconde fois dans le miroir circulaire du fond de la pièce. Le reflet que la vitre me renvoyait était celui du jeune Victor de jadis, celui qui avait conquis la tranchée et séduit la brune Line. Plus de barbe drue , plus de mains abîmées par moult actes héroïques . J’étais de nouveau jeune. Jeune , mais las et triste. Comme archaïque dans mon esprit et chaotique dans mes pensée. La guerre , la grande guerre m’avait abîmé, avait ébranlé ma détermination. Line m’avait trouvé , sauvé et m’avait fait repartir de zéro . Un nouvel univers , une nouvelle vie. Mais tout cela m’avait été arraché en un instant , alors que la blessure de la perte de ma famille d’origine s’estompait . Pourquoi le destin s’acharnait-il contre moi ?

Cette guerre insensée, ce fléau , créée par des tensions entre des pays rivaux , avait fait le malheur du monde. Et faisait maintenant le mien. Partant d’un simple assassinat, elle avait provoqué des millions de morts. Mais pas seulement des morts physique car mon esprit était maintenant desséché, détruit. Je pensais aux jeunes soldats que j’avais rencontrés sur le front. Tout comme moi, ils avaient dû abandonner une partie de leur humanité pour participer à cette guerre, eux aussi avaient perdu quelque chose d’important, souvent leur vie ; et comme eux je n’oublierais ni l’odeur du sang et de la mort ni le bruit des obus éclatant sur le sol. Même si j’en étais sorti indemne, ces fantômes me hanteraient toute ma vie. Je comprenais aussi leur douleur , leur peine et leur rancœur. Mais j’ai été sauvé, moi un adolescent qui n’appartenait même pas à la même époque.

Je pris le carnet , et l’ouvris . Les pages jaunies étaient recouvertes d’une fine écriture noire. Sûrement de l’encre de chine à la plume. Je commençais ma lecture. «  Cher journal tu es le seul à qui je puisse confier mon histoire. Car elle est surprenante. Pour tout t’avouer , je ne suis pas d’ici. Non je ne viens pas , d’une autre région ou même d’un autre pays. Je viens d’une autre époque. »

D’une autre époque !? Au moment où il avait écrit , il ne devait plus avoir toute sa tête, le vieux ! Je continuais à feuilleter le carnet , quand un détail attira mon attention. «  Line était maintenant ma femme , nous avions prononcé nos veux, dans la chapelle du village. ». Line … Mais qu’est-ce que Line faisait dans ce récit ?! Une angoisse sourde m’envahit. J’ouvris le journal à la dernière page.

La feuille comme toutes les autres était recouverte d’une fine écriture à la plume… qui ressemblait à s’y méprendre à la mienne : « L’histoire de ma vie si singulière soit elle est maintenant terminée. Je peux donc finir mes jours en paix entouré de ma famille, Line et notre fils Benjamin.

Salutations , Victor l’homme du futur. »

Je lâchai le carnet qui tomba avec un bruit mat sur le sol. Puis , brusquement mes jambes ne me répondent plus. Je m’affaissai à genoux. J’avais saisi.

Cet homme, c’était moi , c’est pourquoi mes parents m’avaient appelé comme lui.Tout était lié. Cette étrange aventure n’était donc pas un songe, mais un véritable pan de mon existence. Je suis donc mon arrière-grand-père . Par quelle folie cela a-t-il pu se produire ?

Je n’en savais rien et n’en saurais jamais rien. Je devais seulement accepter cette triste réalité.

Les responsables de ma misère étaient les responsables de la guerre.Ils avaient abîmé mon cœur comme ils avaient exacerbé mes peurs. Je

suffoquais. J’étais brisé. Une haine sans nom s’empara de mon cœur.

Ivre de colère, je lançai mon poing contre le vieux miroir qui se fracassa. Des éclats de verre se logèrent dans ma peau. Mais qu’importe ,je ne les sentais même pas , la seule douleur que je ressentais était une douleur morale , une grosse pierre m’écrasait le cœur, et un typhon me retournait le ventre. Mais à la vue du sang, l’épouvante me saisit. Je revis toutes les horreurs de la guerre défiler devant mes yeux. Obus pleuvant, soldat, camarades, tombant, gueules cassées, défigurés à jamais, les rats fouinant, les poux ne nous laissant aucun instant de répit , la gangrène dévorant nous membres blessés , et autres horreurs communes à cette atrocité nommée guerre . Le tourbillon passa, je redescendis me soigner dans la salle de bains. J’avais compris que la guerre n’était pas une question d’époque , moi un lycéen qui vivait à une époque différente ne pouvait surmonter cette monstruosité. Je ne pourrais jamais en parler à ma famille ou mes amis, j’allais devoir porter ce lourd fardeau tout seul. Mais cela ne serait pas en vain.

Car j’étais décidé. Dans notre monde la guerre sévissait encore. J’allais l’en débarrasser. Peu importe le temps et les obstacles qui se dresseraient sur ma route.Je ne laisserais personne vivre ce que j’avais vécu.

« Victor, pour la troisième fois , à table, nous t’attendons ! », cria ma mère .

Ils étaient donc tous vivants, quel soulagement ! J’allais les rejoindre. Mon père, ma mère et Line… « Line ! Tu vas bien ? » Je la serrai fort dans mes bras.

-Mais lâche-moi Victor ! Qu’est-ce qui te prend ? Me répondit-elle froidement.

-Mais Line… Je la regardai encore, puis je compris mon erreur. Ce n’était pas Line, c’était Lucie ma petite sœur. Elle lui ressemblait tellement.

-Idiot de frère !

-Du calme » , dit mon père .

J’étais perdu , ils n’avaient pas changé d’un pouce, ce qui voulais dire que j’étais revenu à l’instant même où j’étais parti. Personne ne s’était donc inquiété, bien.

Le reste du temps se déroula calmement mais la présence de Lucie me troublait. Avoir le sosie d’un être qu’on avait perdu à jamais en face de soi était déroutant.Elles étaient bien de la même famille, c’était la descendante de Line, ma théorie se confirmait.

Une semaine plus tard, j’avais fini d’écrire mon histoire pour le projet centenaire ,j’avais pris pour modèle mon aventure. Il rencontra un franc succès et j’obtins une très bonne note. Mais Line et mon fils me manquaient toujours.


Deux ans plus tard.

Moi Victor , suis toujours là et je n’ai rien oublié. J’ai brillamment eu mon bac et vais intégrer une école de droit , je souhaiterais défendre et protéger des conflits ceux qui ne peuvent pas se défendre eux-mêmes. Cette école n’est qu’une formalité, pour atteindre mon idéal. Ce n’est qu’un premier pas, et il y en aura d’autres. Je vous le promets.