Lettres de l’arrière fictives de Mme Durosoir à son fils Lucien soldat au front, inspirées des lettres de celui-ci.

Note du webmestre-historien :

Durosoir ne fut jamais élève à Nantes mais nos jeunes auteurs ont souhaité s’emparer de ce personnage très intéressant, ainsi que des lettres émouvantes de celui-ci à sa mère ; ce travail d’invention, d’une grande qualité, mérite toute sa place auprès des autres contributions.

M.O. P.

Avant-propos des élèves :

Ces lettres ont donc été écrites pour rendre hommage à tous les soldats, morts pendant cette guerre mondiale qui fut une des plus meurtrières de l’Histoire. Elles entrent dans un projet de commémoration du centenaire de la Guerre 14-18 intitulé « Le lycée Clemenceau dans la guerre »

Pour écrire ce recueil de lettres nous avons pris connaissance du livre réunissant les lettres de Lucien Durosoir à sa mère. Nous en avons donc sélectionné quelques-unes et nous avons imaginé les réponses de Mme Durosoir à son fils. Nous nous sommes aidées de lettres de l’arrière que l’une de nous avait dans sa famille, ainsi que de nos lectures. Nous avons essayé de rester le plus proche possible de la réalité, tout en inventant certains éléments.

 

Avant la guerre, Lucien Durosoir est un musicien âgé d’une trentaine d’années, vivant avec sa mère dans un petit village de campagne. C’est un violoniste virtuose et un compositeur . Il est appelé au front en 1914 et garde un lien très fort avec sa mère par l’intermédiaire des lettres. Il est d’abord engagé comme soldat sur le Front, avant d’être nommé officier, il pourra donc jouer du violon aux haut-gradés en particulier. Ses lettres sont regroupées avec les carnets de Maurice Maréchal, violoncelliste, dans un même livre intitulé Deux musiciens dans la Grande Guerre (Tallandier, Paris 2005). Ces deux soldats étaient amis et Lucien Durosoir a composé pour Maurice Maréchal.

Lucien Durosoir rentre chez lui en 1919, mais, cette guerre l’ayant énormément affecté, il abandonnera sa carrière de musicien. Malgré cela, il est décrit par tout le monde comme un soldat heureux et paisible qui tentait toujours de détendre ses camarades en jouant de la musique.


Le 4/08/1914 au soir,

Cher Fils,

Je suis contente d’avoir reçu ta lettre, je savais bien que tu ne m’oublierais pas.

Je vois que tu es à Caen, pense à rendre visite à l’oncle Louis qui habite non loin de cette ville, cela fait longtemps que l’on ne l’a pas vu. Donne-lui le bonjour de ma part.

J’espère que tu n’as pas froid aux pieds, que tu as pris assez de chaussettes. Protège-toi bien du vent et surtout de la pluie, tu pourrais attraper une pneumonie et je ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur.

Le village est presque désert, une grande partie des hommes a été appelée au front et tu sais, le mari de la voisine, celui qui avait réparé le toit du grenier l’année dernière, tu te souviens ? Il a été appelé à Paris, auparavant il avait réussi à y échapper mais ils l’ont retrouvé.

J’espère que tu as bien pris tes partitions et que tu trouveras un violon pour continuer ton exercice quotidien, ce serait dommage que tu perdes ce petit air que tu m’as joué avant de partir et qui m’a beaucoup plu.

Je suis très triste sans toi alors reviens vite, je t’attends.

A bientôt,

Ta petite Maman


24 août 1914

Cher fils,

J’espère que le temps reste agréable à la caserne car ici il fait très beau.

Je suis rassurée de savoir que tu trouves ta caserne confortable. Tu es sûr qu’il ne te manque rien?Si tu as besoin de quoi que ce soit, demande-le moi !

N’oublie pas de continuer le contrepoint quotidiennement, tu ne peux pas te permettre de perdre la technique que tu as acquise. De nouveaux concerts sont-ils prévus ?

Tu as sûrement entendu parler des offensives du 21 août à Verdun. Les nouvelles sont-elles aussi bonnes qu’on nous les rapporte ? Je souhaite plus que tout que cette guerre finisse promptement car elle n’apporte rien si ce n’est des morts, des blessés et des prisonniers.

Tu me manques toujours autant. J’attends avec impatience de tes nouvelles.

Ta petite maman qui t’aime


Le 26/12/1914

Mon cher petit Lucien,

Pour commencer, malgré tout, je te souhaite un joyeux Noël à toi ainsi qu’à tes camarades soldats du front. Sache que j’ai très peur pour toi, de toutes ces attaques allemandes qui risquent à tout moment de te coûter la vie. Je sais que tu dois te battre et protéger la patrie, mais pense quand même de temps en temps à te reposer, je ne m’en remettrais pas s’il t’arrivait quoi que ce soit.

C’est quand même une bonne nouvelle que tu aies pu assister à la messe de minuit avec un aumônier, même dans ces conditions. Je prie pour toi tous les jours, et le Seigneur veille sur toi. Nous ici, le prêtre a célébré la messe dans l’église mais l’ambiance n’était pas festive, hier encore la commune a perdu deux de ses hommes. De plus certaines denrées alimentaires commencent à manquer et les gens font des provisions, ce qui aggrave la pénurie, et tout le monde doit se contenter de peu de choses. Certaines femmes du village ont même dû reprendre les commerces de leur mari pour continuer à faire marcher la ville et pour subvenir à leurs besoins. Elles font de leur mieux et cela leur permet de penser à autre chose qu’à cette sale guerre. Tout le monde essaie de l’oublier mais c’est très dur, des morts sont annoncées tous les deux jours.Moi, je passe le plus clair de mon temps sur la place du village avec quelque fois de la compagnie en t’écrivant ces lettres, j’ai l’impression que grâce à elles tu es toujours à mes côtés et cela me réjouit.

Toi aussi Lucien, essaie de penser un court instant à autre chose, partage ces derniers jours de l’année avec tes camarades et j’espère que vous allez rester le plus longtemps possible à Ventelay plutôt que de retourner dans les tranchées.

Je t’embrasse de tout mon cœur,

Ta chère maman qui pense à toi.


Mars 1915

Mon cher fils,

 

J’espère que tu ne vas pas trop mal.

Je suis tellement heureuse que tu aies trouvé un violon et que tu puisses en jouer devant ces personnes. J’aimerais beaucoup pouvoir t’entendre.

J’espère que tu leur joueras ta petite sonate de Beethoven. Prions pour que la femme du médecin major ne te fasse pas d’ombre et ne gâche pas ton talent ! Mais ne te moque pas d’elle… N’oublie pas de tout me raconter dans ta prochaine lettre. Sache que je pense fort à toi et que tu as tout mon soutien. Tu me manques beaucoup.

Ta chère maman


13 mars 1917

 Cher Lucien,

 

Tout ce que tu me racontes de la vie au front m’inquiète beaucoup.

Penser que tous ces hommes sont au contact de la mort me révolte.

Tu es au courant des rumeurs au sujet des mutineries dans l’armée russe? J’ai peur qu’il n’arrive la même chose dans l’armée française. Après tout, comment savoir qui n’est pas corrompu de nos jours ?

Cette guerre à n’en plus finir m’épuise. Même ici, nous ressentons cette guerre au travers des pénuries, des décès, de ce deuil permanent auquel nous sommes confrontés.

Si tu étais là, je ne suis même pas sûre que tu reconnaîtrais le village. Tout est sombre voire noir, personne ne parle ni ne demande de nouvelles, de peur de devoir faire face à de nouvelles pertes. Même le ciel semble ressentir la guerre. Le temps est lourd,gris et l’atmosphère est pesante. Malgré cela, je suis heureuse que tu aies échappé au front et que tu puisses exercer ton art.

Pour ma part, je ne suis pas d’accord avec ce Monsieur Labeyrie. Je ne suis sûrement pas très objective, mais la vie ne peut être plus dure qu’en ce moment et je pense que quand la guerre sera terminée, tout le monde reprendra enfin son souffle malgré le fait qu’il y aura tout à reconstruire,des plaies à guérir et que de nombreuses cicatrices demeureront.

Ta maman qui ne cesse de penser à toi


Le 5 Juillet 1917

Mon cher Lucien,

Comme tu dois bien le savoir, les Américains sont arrivés à Nantes. Tout cela a remué la ville, toute l’attention s’est portée sur ces beaux Américains. Pour leur rendre hommage, le maire a autorisé la célébration de la fête Nationale de l’Amérique. Je vais te conter la fête, qui a été très choquante pour moi.

La célébration de cette fameuse fête Nationale se passait bien jusqu’au moment où des Américains ont commencé à se battre entre eux, des témoins ont confié au maire que ces gens avaient consommé de l’alcool en quantité déraisonnable. Le lendemain une petite foule de Nantais attendait pour porter plainte contre les Américains pour ivrognerie, viols et j’en passe.

Nous qui nous attendions à rencontrer nos sauveurs, nous avons été très déçus de leur comportement irrespectueux. Tout cela a beaucoup affecté la ville, et nous sommes maintenant tous assez méfiants envers les Américains, pour qui, ce comportement avait l’air d’être normal.

Voilà pour les dernières nouvelles d’ici, j’espère que tout va bien pour toi et que tu te consacres toujours à ta musique.

Ta petite maman qui t’embrasse


Le 11 novembre 1918

Mon cher fils !

Moi aussi, j’ai appris la nouvelle ce matin, et tu ne peux pas savoir à quel point je me réjouis ! Il est huit heures du soir et déjà, pratiquement tout le village est réuni sur la place, je ne vais pas tarder à les rejoindre. Le moral qui était descendu si bas, est remonté en flèche ! Le ciel qui s’était assombri semble s’éclaircir après ces très longues années. J’imagine à quel point cela doit être un soulagement pour tous les soldats. Je t’envoie une bouteille de champagne pour l’occasion, à partager avec tous ceux qui ont lutté à tes cotés. J’espère te voir parmi nous au plus vite car ton absence est de plus en plus pesante. Je suis tellement rassurée de te savoir encore en vie. Ta chambre t’attend, elle n’a pas changé. Dès que je saurai exactement quand tu rentres, je compte préparer ton plat préféré car je n’ose même pas imaginer ce que tu as pu manger pendant ces quatre ans.

Répands autour de toi la joie de cet événement extraordinaire ! Lucien, la guerre est finie !

Avec l’impatience de te serrer dans mes bras,

Ta chère maman qui t’attend