Des lycéens nantais assistent à la journée impériale à Mayence, par Martha Willmann et Maryvonne de Rugy

13 août 1913 : Kaisertag in Mainz 

Des lycéens nantais assistent à la journée impériale à Mayence

« … dans le courant du mois d’août, devait avoir lieu à Mayence une grande démonstration militaire pour inaugurer la suppression d’anciennes fortifications et la réalisation d’un champ de manœuvres. La ville de Mayence était à cette époque la grande ville de garnison des troupes allemandes et le Kaiser, le Kronprinz, la grande-duchesse de Hesse et de hautes personnalités militaires préparaient une grande démonstration de parade, et notre professeur avait obtenu quelques places au titre d’étudiants qui nous permirent d’assister à cette extraordinaire démonstration… »

(extrait des souvenirs – confiés au Comité de l’Histoire du lycée Clemenceau – de Jean Decré, âgé de 13 ans en 1913, participant du voyage d’études organisé par M. Mainguy, professeur d’allemand au Lycée de Nantes)

 

1. Quelles impressions pouvaient avoir nos jeunes étudiants lors de la « journée impériale » – et qu’est-ce qu’ils n’ont probablement pas perçu ?

 Deux des quatre quotidiens de Mayence, le Mainzer Tagblatt et le Mainzer Anzeiger – l’un comme l’autre considérés comme « libéraux » – consacrent de grands articles sur deux tiers de page à l’événement, tandis que le Mainzer Journal catholique et le SPD-Volkszeitung proche du parti social-démocrate se contentent de rapports plus courts.

Kaiserparade 1913

Carte postale « Gruss von der Kaiserparade »

Depuis 1898, Guillaume II assiste tous les étés, à deux exceptions près, à une revue de troupes dans les « Grands sables » aux portes de Mayence, l’une des principales villes de garnison à l’ouest de l’Allemagne. En 1913, la destruction des anciennes fortifications qui avaient enserré Mayence est achevée. On remercie particulièrement l’empereur d’avoir autorisé un nouvel essor de la ville. Des régiments stationnés dans d’autres villes du grand-duché de Hesse ont débarqué tôt le matin. Avec la garnison de Mayence, ils sont 15 000 soldats et officiers.

Arrivé par un train spécial à 8 heures précises, Guillaume et sa suite sont reçus par la grande-duchesse de Hesse et son entourage en présence des responsables militaires. Tous montent aussitôt à cheval pour assister à un exercice de la cavalerie. Suit une manœuvre qui oppose un parti bleu à un parti rouge sous le tir de l’artillerie, chaque canon disposant de 35 cartouches de manœuvre, les fantassins et cavaliers étant équipés chacun de 20 cartouches à blanc. La matinée se termine par un défilé, devant Guillaume II, de 27 bataillons d’infanterie, 9 escadrons de cavalerie  et plusieurs sections d’artillerie, quelques tours d’un avion militaire au-dessus des « Grands sables » et son atterrissage constituant une attraction particulièrement remarquée. Une foule de plusieurs milliers de spectateurs salue l’empereur, le grand-duc et leur entourage à leur retour dans la ville abondamment décorée de fleurs et drapeaux, où ils sont accueillis par le maire de Mayence. A 13 heures, enfin, l’empereur et les autres invités de la grande-duchesse passent à table.

Au menu : Potage de tomates, filets de sole, roastbeef, poulardes farcies, perdrix rôties, salades, entremets au potiron, sorbet à la fraise, fromages, le tout arrosé de Sherry, Moet et Chandon, Grand cru 1893 de Markobrunn, « bowle » aux pêches (vin blanc, champagne et fruits) ! Parmi les pièces musicales d’accompagnement on notait l’ouverture de Tannhäuser de Wagner et des valses.

Selon notre témoin nantais Jean Decré, les élèves du professeur d’allemand M. Mainguy avaient bien perçu le caractère « extraordinaire » de la démonstration militaire. Ils ne s’en réjouissaient pas, dit-il au moment où il résume ses souvenirs, au contraire, le spectacle leur faisait redouter le pire.

 

2. La journée impériale : Une fête de l’« Empereur de la Paix » ou élément de l’éducation au militarisme ?

L’auteur de l’article non signé dans le Mainzer Tagblatt « Der Kaisertag in Mainz » tente à plusieurs reprises de concilier l’éloge de la paix avec la justification de l’effort militaire et le plaisir éprouvé devant le spectacle guerrier.

01
Traduction :

Nous partageons certes entièrement l’avis de Bismarck disant qu’une guerre même victorieuse est en soi toujours un mal, la tâche de l’art politique étant d’épargner ce mal aux peuples.  Et même s’il n’y a pas la moindre étincelle belliqueuse dans nos cœurs, nous comprenons malgré tout les sentiments que le troubadour Bertrand de Born a exprimés dans ces vers :

Me plait quand les coureurs poudreux

Font les gens et les troupeaux fuir,

Et me plait quand vois après eux

Nombreux guerriers de front venir.

Sachez que tant ne m’a saveur

Manger ni boire, ni dormir, Que si j’entends crier « à eux ! »

Des deux côtés, partout hennir Sous bois chevaux sans maîtres.

(Transposition des vers par L. Clédat)

 

Fort de l’appui du poète provençal, le journaliste peut ainsi admettre son innocente fascination par le jeu militaire. Il poursuit en remerciant l’empereur de sa sollicitude en faveur des forces armées.

 

02
Traduction :

Rien, en effet, ne peut mieux garantir le maintien de la paix que notre armement sans faille. Et ce n’est pas uniquement tout le peuple allemand mais le monde entier qui a reconnu […] que l’empereur considère comme sa tache suprême de tenir l’Allemagne à l’abri des horreurs d’une guerre […]

 

03
Traduction :

Il a été bref le temps passé dans nos murs par l’empereur, hôte de notre grand-duc de Hesse. Mais, cette-fois, il fut tout particulièrement le bienvenu parmi nous et notre joie a été d’autant plus sincère que nous avons pu le saluer au moment même où retentissent dans toute la péninsule balkanique les carillons de la paix, et où le nom de Guillaume II est à nouveau sur toutes les lèvres, comme étant le nom du puissant Empereur de la Paix, qui a apporté son soutien judicieux à la judicieuse politique de paix de la Roumanie, contribuant ainsi de façon essentielle à délivrer enfin l’Europe du cauchemar pesant qui, depuis presqu’un an, la tourmentait.

 

L’ambiance bon enfant de la fête populaire et l’éloge de l’ « Empereur de la Paix » ne font pas oublier que le spectacle militaire contribue parfaitement à l’éducation au militarisme de la population, y compris des très jeunes. A Mayence, les élèves des écoles sont invités aux mises en scène extraordinaires du « Kaisertag ». Partout en Allemagne, les célébrations officielles comme la « Journée de Sedan » le 2 septembre, en souvenir de la victoire en 1870, encouragent le « patriotisme » du public. L’amour de la patrie et de l’empereur sont enseignés aussi à l’école (où l’instruction populaire a progressé beaucoup depuis le début du XIXe siècle). Si les élèves des lycées – certes une minorité – sont davantage exposés, depuis l’arrivée sur le trône de Guillaume II, à un enseignement politisé dans les disciplines allemand et histoire, la grande masse des jeunes est concernée par l’essor des associations sportives et du scoutisme, où les jeux paramilitaires et l’esprit « patriotique » vont  souvent de soi.

 

MAYENCE Un peu de géographie et d’histoire

Mayence (Mainz) est située sur la rive gauche du Rhin, en face de l’embouchure du Main. Aujourd’hui capitale du land de Rhénanie-Palatinat (Rheinland-Pfalz), Mayence est, avec un peu plus de 200 000 habitants, la plus grande ville de cet Etat-région. Cité aux activités commerciales et industrielles variées, entourée de vignobles, elle héberge le parlement et le gouvernement du land et une université renommée. La ville natale de Johannes Gutenberg (1400 – 1468) est aussi un centre de médias (télévision, radio, presse). En 1813, Mayence dépasse les 100 000 habitants et fait partie du grand-duché de Hesse (dont l’histoire, depuis son entrée dans la Confédération du Rhin en 1806, est marquée par l’introduction d’une constitution assez libérale en 1820 mais durcie après 1830 et 1848. En 1871, le grand-duché rejoint l’Empire allemand. Après l’abdication du dernier grand-duc en 1918 naît l’« Etat populaire de Hesse » (Volksstaat Hessen) dans la République de Weimar. Après la Deuxième Guerre mondiale, les régions de la rive gauche du Rhin sont intégrées dans le nouveau land Rhénanie-Palatinat (Rheinland-Pfalz). Ancienne cité romaine « Moguntiacum », Mayence était au Moyen Age un archevêché important. (Cathédrale terminée en 1009.) Durant le Saint Empire romain germanique, son archevêque était l’un des princes électeurs.

Cathédrale de Mayence

Cathédrale de Mayence, vue de 1913. Source : Stadtarchiv – BPS

Les bords du Rhin à Mayence. Source : Stadtarchiv Mainz - BPS

Les bords du Rhin à Mayence. Source : Stadtarchiv Mainz – BPS

Rappel historique

Mayence a connu pas moins de six périodes d’occupation française :

  • 1644 – 1650, à la fin de la guerre de Trente Ans (1618 -1648) ;
  • 1688 – 1689 lors de la guerre de la Succession Palatine/ guerre de la Ligue d’Augsbourg ;
  • 1792 – 1793 par les troupes révolutionnaires ;
  • 1797 – 1814 : Après la paix de Lunéville (1802) Mayence est la capitale du département du Mont-Tonnerre. Napoléon veut en faire une vitrine de l’Empire. En 1804, des manoeuvres ont lieu en présence de Napoléon ! C’est une (des 36) « bonnes villes de l’Empire » ;
  • 1918 (décembre) à juin 1930 après la Première Guerre mondiale ;
  • 1945, à partir de juillet, après la Seconde Guerre.

 

La République de Mayence (1793) et Mayence – ville française.

Si cette dernière période d’occupation a débouché sur l’époque de la création des institutions européennes et la réconciliation franco-allemande, une autre a laissé un souvenir au moins partiellement positif, puisqu’elle avait permis la proclamation de la première République sur le sol allemand : lorsque le 21 octobre 1792 la ville de Mayence assiégée se rend au général Custine, les troupes révolutionnaires françaises ont pour mission de promouvoir les idéaux de liberté et égalité. Deux jours plus tard, un Club jacobin est fondé, composé de membres de toutes catégories sociales, essentiellement de professeurs et étudiants. La population découvre les rudiments du débat public et de l’autogestion. En février 1793, une constitution fondée sur des principes démocratiques est adoptée – avec toutefois un énorme taux d’abstention. La reconquête de Mayence par la coalition antifrançaise en juillet 1793 met un terme à cette éphémère République de Mayence.

 

Pour plus de détails :

Herrmann-Dieter Müller, Gonsenheims französische Besatzungszeiten, Gonsenheimer Jahrbuch Bd . 17, 2009

www.mainz.de : Le site Landeshauptstadt Mainz propose un portrait de la ville (en partie disponible en français) : tourisme, culture, économie, etc.