jeudi, 11 novembre 1915

Une lettre d’Anastasie

Un long rectangle blanc posé sur l’éditorial de Gaston Veil, dans Le Populaire de ce jour, montre que, malgré les propos du nouveau président du Conseil sur la censure, les ciseaux de Dame Anastasie sont toujours très actifs.

 

Le lendemain, Gaston Veil relève l’offense avec esprit, en publiant une « Lettre d’Anastasie » :

 

« Monsieur,

C’est un jour que j’attendais avec une malicieuse impatience. Il est venu et j’ai bien ri. Lectrice assidue du Populaire… j’avais dégusté naguère l’article que vous me consacrâtes. Vous vous en souvenez ? Il était intitulé : « Les derniers jours d’Anastasie ». Vous y parliez en termes excellents de ma disparition… et vous exprimiez votre joie de pouvoir, à l’avenir, écrire tout ce que vous penseriez…

 Je suis toujours vivante, je suis toujours alerte et vigoureuse. Qu’aviez-vous donc pensé, cher Monsieur ? Un ministère qu’on change ce n’est vraiment pas grand’chose et ça ne suffit pas pour me causer une émotion mortelle.

 Et puis je suis vieille, c’est vrai, mais assez bien conservée : c’est l’avis de tous ceux qui me connaissent. Je n’y vois plus très clair, je ne marche plus très bien, néanmoins, malgré mes lunettes, mon allure hésitante et mes rides, je suis suffisamment belle femme et j’ai des secrets pour séduire n’importe quel nouveau président du Conseil.

 Soyez persuadé, en tout cas, Monsieur Veil, que je ne vous garde pas rancune et que mes ciseaux vigilants et actifs restent à votre entière disposition.

Et recevez l’assurance… »