jeudi, 19 juin 1919

Un vieillard stupéfiant

Le général Buat note dans son Journal :

 

« M. Clemenceau est venu, ce soir, dîner avec nous. Ce vieillard est stupéfiant de jeunesse. Il ne quitte jamais ses gants – des gants gris – même pour dîner ! Pourquoi ? Eczéma des mains ? Je ne sais ; le maréchal [Pétain] qui l’est allé voir à son domicile, de bon matin, affirme qu’il l’a toujours trouvé ganté. (1)

Au cours du repas, il nous conte toutes les difficultés auxquelles il se heurte. Il est évident que ses occupations ne sont pas folâtres et qu’elles lui laissent peu de loisirs ; on se demande comment, à son âge, il y peut tenir.

En nous quittant, à 9 heures du soir – ce qui ne le met pas à Paris avant 10 heures – il doit avoir une longue conversation avec Lloyd George ; et, demain avant 7 heures, il sera debout. C’est à peine s’il aura eu le temps de digérer un dîner auquel il a fait particulièrement honneur.

Ce qu’il raconte est vraiment très étonnant. Portrait de ses collègues de la Conférence de la paix : Wilson, animé des meilleurs intentions, mais foncièrement ignorant de toutes les conditions de la politique européenne ; décidé à nous venir en aide, plus tard, financièrement parlant, mais adversaire résolu d’un consortium qui aurait pour résultat de financer l’Angleterre. Lloyd George, très anglais, c’est-à-dire très pratique, mais d’une ignorance inimaginable en tout ce qui concerne les peuples en jeu, spécialement ignorant de la géographie européenne… ».

 

 

  • Georges Clemenceau était diabétique ; il avait aux mains des plaques d’eczéma rebelles qui nécessitaient des applications fréquentes de pommade ; d’où le port de gants gris en étoffe qui intriguait ses visiteurs.