jeudi, 31 août 1916

La guerre – Quel rêve curieux !

Après avoir été soigné de ses blessures dans un hôpital de Nantes, Jacques Vaché est revenu sur le front de la Somme où il est interprète auprès des troupes britanniques.

 

Il écrit à son amie Jeanne Derrien, une Nantaise, qu’il a connue lors de son séjour en hôpital :

 

« – Je n’ai personne à qui parler – Il me semble que je suis exilé dans une contrée prodigieusement lointaine – D’ailleurs – je crois vous l’avoir déjà dit – je suis à peu près certain de rêver ; Je vais me réveiller et puis au déjeuner je dirai :

 

 « Figurez-vous que j’ai rêvé la nuit dernière que la guerre était déclarée… » etc. etc.

 

Je suis absolument certain – maintenant – oui – c’est évident n’est-ce pas ? – de rêver – Il est impossible qu’en deux ans j’aie vu tant de choses – ?

 

Des casernes – des grandes cours carrées où sonne le clairon –Des trains – wagons à bestiaux – poussière – des tranchées – des trous, des bosses – des mouches – du bruit – des odeurs horribles des trous encore – des fils de fer – de la terre dans le cou – Une énorme chaleur qui tombe d’aplomb sur le crâne – Des nuits prodigieuses – pleines de fusées et d’étoiles, ponctuées d’éclatements divers – grouillantes d’ombres suspectes et de rats familiers mangeurs de cadavres – Du bruit encore, des explosions stupéfiantes, des hurlements ignobles – un lit (un lit !) – et puis la vie de bohème – le front encore des commandements à la prussienne… – Quel rêve curieux – ? n’est-ce pas ? »

 

V 31 août