lundi, 11 octobre 1915

« J’ai vu des horizons couverts de feu »

L’offensive d’Artois touche à sa fin.

Le lieutenant artilleur Poumailloux écrit à des amis. Ce sera sa dernière lettre.

Le lendemain Albert Poumailloux est mortellement touché à la tête d’un éclat d’obus alors qu’il était à son poste de combat. Il avait 21 ans et venait d’intégrer Polytechnique.

 

« J’ai vu des horizons couverts de feu ; entendu les plus formidables roulements de tonnerre que Vulcain fit jamais sortir de ses forges… J’ai respiré des gaz asphyxiants, larmoyants, « vomifiants », empoisonnants, tonitruants et puants. J’ai cru en « claquer », mais ce ne fut qu’une impression et une douleur vive des yeux et des poumons, malgré les masques. Nos canons ont continué à être servis dans cet enfer et nous avons tué des Teutons ! nous en avons tué ! nous en avons tué ! et nous sommes heureux et nous jouissons ! Voyez la déformation à laquelle on arrive ; que voulez-vous ? J’ai vu de telles horreurs dans les tranchées conquises : des sacs à terre bouleversés, des talus effondrés sous la pluie effroyable des énormes et monstrueuses marmites, des abris déchiquetés, des poutrelles de bois et de fer grosses comme vous et moi, tordues, des effondrements de toutes sortes de matériaux et, parmi toutes ces choses, des équipements abandonnés, des fils de fer barbelés hachés, des ustensiles divers, des membres épars, des jambes dans des bottes, des cadavres jeunes ou vieux, ceux que l’on n’a pas encore enterrés, les uns verts, décomposés, les autres momifiés ou liquéfiés ! et l’on se dit : « Cela a été un homme ! »

 

C’est affreux ! mais ça n’empêche pas que l’on a du courage allez ! et bon espoir ! et de l’entrain ! Et justement cela nous donne davantage le désir de nous venger ! On reprendra après la guerre la mentalité d’avant ! Je l’espère du moins ! »