mercredi, 21 juin 1916

« Ici nous sommes bien »

Depuis le 9 juin, après une longue période sur le front de Verdun, le régiment du brigadier Alphonse de Châteaubriant, et l’ambulance dont il a la charge du train, sont au repos dans la région de Nancy.

 

L’écrivain écrit à sa sœur, qui réside dans la maison familiale de Grillaud, à Nantes :

 

«Ici nous sommes bien, les gens sont accueillants, le pays est beau, la ceinture azurée des montagnes ferme l’horizon. De plus le secteur est tranquille… Pour l’instant, ma principale préoccupation consiste à distribuer mes hommes et mes attelages dans les différentes fermes qui réclament de l’aide, mes chevaux étant réputés les meilleurs du cantonnement et mes hommes les plus entendus dans les travaux des champs. Aussi, du matin au soir, suis-je assiégé, harcelé de demandes et de réclamations. Je ne puis traverser une rue sans qu’il se trouve là une femme pour me tirer par mon habit : « Monsieur, c’est-y vous qui aidez le monde ? » Et la conversation s’engage, et c’est souvent avec des promesses de procureur que je me débarrasse de la suppliante, car mes hommes ne peuvent être à la fois au four et au moulin. Quelle belle aubaine pourtant que cette occasion d’aller butter des patates, de faire voler du foin au soleil, après deux ans passés à regretter le métier ! J’éprouve une vraie joie à les voir partir, le panier sous le bras, la faux sur l’épaule, en compagnie des femmes qui les ont embauchés. Alors moi, je fais seller « Caoutchouc », mon cheval, et je file au galop, jusque sous les profonds ombrages des bois voisins ».