vendredi, 1 juin 1917

« Nous sommes des poires ! »

Dans son journal de l’année 1917, le compositeur nantais Louis Vuillemin essaie de trouver des explications aux mutineries dont il est le témoin.

 

Voici quelques extraits de ses réflexions :

 

« Dans la tranchée, aux créneaux, aux postes d’écoute, le soldat vient du faubourg ou du village, de l’atelier ou de la ferme, rarement du boulevard ou du château. Seuls – ou presque seuls – l’ouvrier et le paysan couchent sous le gourbi pouilleux, mangent à la gamelle, sautent avec la mine, montent à la baïonnette et reçoivent stoïquement sur l’échine – et cela depuis trois ans – l’averse des obus et des torpilles.

Le bourgeois, quand il est là – le riche, comme disent les hommes – bénéficie neuf fois sur dix, des bienfaits de la hiérarchie. Il a du galon d’or. Il commande…

Le travailleur, le soldat, ne constate dans son besoin d’explication simpliste que cette simple vérité : c’est qu’il est « chair à canon », qu’il marche obscurément dans une direction qu’on lui cache, fait des gestes dont plus d’une fois on lui déguisa le vrai sens, tue sur commande, se fait tuer. Qu’enfin, ce qu’on lui a promis pour la fin de l’année en cours se trouve promis à nouveau pour le cours de la suivante !

Ceux qui écrivent, dit le soldat, « marquent » sur les journaux : jusqu’au bout ! Ca ne leur coûte pas cher, c’est sûr. Ils sont à l’abri des coups. Pendant qu’on va « jusqu’au bout », les riches et les embusqués, bourgeois et fils de bourgeois, s’enrichissent ou font la noce dans les villes de l’intérieur. Nous, nous n’existons quasi plus, et pour ne pas déranger la foule de ces jeunes messieurs, on nous parque dans les gares quand nous sommes permissionnaires. On nous cache. Nous dégoûtons. C’est « régulier » ! Nous sommes des poires…

Ceux qui écrivent « marquent » sur les journaux des descriptions de poilus qui ne sont pas exactes du tout. Ils nous prêtent des idées, des opinions arbitraires. Souvent, ils nous font parler à l’inverse de ce que nous pensons. Ils exagèrent dans tous les sens et se moquent un peu trop de nous ».