Commémorations de la Première Guerre mondiale en Allemagne

Commémorations de la Première Guerre mondiale en Allemagne

Par Martha Willmann, professeur d’allemand (er) au lycée Clemenceau et membre du Comité de l’histoire du lycée

1914 Mitten in Europa

1. Quelles différences avec la France ?

Comme en France, 2014 est en Allemagne une année de commémorations. Si les Français se souviennent du début de la Grande Guerre en 1914, ils fêtent aussi les 70 ans des étapes de la libération en 1944. Les Allemands commémorent le centenaire de la Première Guerre mondiale, avec à l’esprit le déclenchement de la Seconde, il y a 75 ans. Et en novembre, ils vont fêter les 25 ans de la chute du mur.

A la différence de la France, l’Allemagne ne prévoit pas de grande commémoration officielle du centenaire de la Première Guerre mondiale. Dans l’Etat fédéral qu’est l’Allemagne, l’initiative dans ce domaine revient pour l’essentiel aux Länder (Etats-régions).

Surtout, pour les Allemands, la Première Guerre mondiale n’est pas la « Grande Guerre ». C’était certes la guerre la plus meurtrière connue jusque-là (avec plus de tués du côté allemand que du côté français), considérée comme étant à l’origine des désastres suivants (« die Urkatastrophe des 20. Jahrhunderts », « la catastrophe originelle du XXe siècle », selon l’expression de George Kennan constamment citée). Mais c’est bien la Seconde Guerre qui écrase tout ce qui était avant, le travail de mémoire sur le nazisme et la Shoah restant omniprésent. Ce qui explique le pacifisme persistant d’une grande partie de l’opinion et l’incompréhension totale vis-à-vis d’une sublimation de faits militaires héroïques.

La défaite de 1918 n’avait pas empêché qu’on honore les combattants, mais les « poilus », défenseurs attachants de valeurs, n’ont évidemment pas d’équivalents allemands. Les monuments aux morts sont certes nombreux mais souvent oubliés dans le pays qui, de 1914 à 1918, n’était pas champ de bataille, à l’exception de la Prusse orientale. S’il existe bien une  discrète journée officielle de deuil – toujours un dimanche en novembre – elle est dédiée à toutes les victimes de toutes les guerres.

 

2. En quoi la Première Guerre mondiale intéresse-t-elle les Allemands ?

Il y a quelques mois encore, on trouvait dans les quotidiens des articles intitulés « Warum Deutschland den Ersten Weltkrieg vergaß » (« Les raisons pour lesquelles l’Allemagne a oublié la Première Guerre mondiale »), Die Welt 8 janvier 2013, ou « 100 Jahre Erster Weltkrieg. Frankreich will feiern – Deutschland guckt zu », (« Centenaire de la Première Guerre mondiale. La France veut célébrer – L’Allemagne reste spectatrice »), Handelsblatt  14 septembre 2013. Dans les librairies, les ouvrages historiographiques consacrés à 1914 – 1918 s’étaient cependant multipliés dès l’automne 2013, et depuis janvier 2014, on assiste, dans les médias, à une véritable explosion d’émissions et d’articles, de dossiers et numéros spéciaux  en rapport avec cette époque. On constate que :

– l’accent est mis sur les destins individuels, l’histoire militaire étant très peu présente.

– la discussion sur les grandes questions – les causes du conflit et les responsabilités des différents acteurs – réapparaît mais est nettement moins passionnée qu’elle ne l’était dans les années 60 et 70, après la publication de l’ouvrage de Fritz Fischer, Griff nach der Weltmacht (Les buts de guerre de l’Allemagne impériale). Parue en septembre 2013, la traduction allemande du livre de Christopher Clark, The Sleepwalkers (Die Schlafwandler /Les somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre) – qui remet en question la responsabilité prépondérante de l’Allemagne – a occupé la première place des ventes pendant six  mois et suscité beaucoup de débats.

– pour la plupart des chercheurs, l’historiographie vue sous un angle national paraît dépassée. Les domaines au centre des travaux des historiens allemands sont actuellement les conséquences de la défaite (de l’armistice, du traité de Versailles, de l’occupation de la rive gauche du Rhin …) pour la jeune République de Weimar et la poussée de modernisations déclenchée par la guerre puis par le changement de régime politique.

– la question des leçons à tirer de l’histoire est essentielle. Comme le dit par exemple Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des affaires étrangères, dans le titre de sa contribution au Monde du 6 février 2014 : « L’Europe ne doit pas oublier les enseignements de 1914 – Préférons la diplomatie aux postures nationalistes ».

 

3. Quelles initiatives, quels projets à l’occasion des commémorations en 2014 ?

Les cours dans les universités, les conférences publiques, les expositions et projets pédagogiques – souvent avec des partenaires européens – seront très nombreux.

Quelques exemples parmi beaucoup d’autres :

– une exposition de photos « Verdun – 100 Jahre danach » à Coblence puis à Verdun

– une conférence sur « Ceux de 14 » à  Mayence

– une rencontre de 500 jeunes Européens « HistoryCampus Berlin » du 7 au 11 mai 2014, organisée par la Bundeszentrale für politische Bildung (Institut fédéral pour la formation politique).  Sur son site, beaucoup d’autres pistes :

www.politische-bildung.de/100_jahre_erster_weltkrieg.html (en allemand et anglais)

Un calendrier des manifestations (disponible en français) se trouve sur

www.100-Jahre-Erster-Weltkrieg.eu

 

ARTE, la chaîne franco-allemande, accompagnera le centenaire tout au long de l’année avec une programmation spéciale à l’antenne et sur le web. Entre autres :

à partir du 29 avril en huit parties : «1914 – Des armes et des mots » (14 – Tagebücher des Ersten Weltkriegs), une coproduction franco-allemande (qui sera diffusée également par l’ARD, le première chaîne allemande).

 

En Autriche – comme en Allemagne – les préparatifs ont commencé de manière nettement plus hésitante qu’en France. Les manifestations seront néanmoins nombreuses.

 

La Suisse se souvient de la mobilisation de son armée en 1914 pour protéger ses frontières et organisera toute une série de manifestations culturelles, souvent avec les régions françaises et allemandes voisines.

 

Pour une réflexion approfondie sur le sujet : La mémoire allemande de la Grande Guerre, Entretien avec Etienne François, Revue des deux mondes, janvier 2014, p. 46 – 57.

 

Afin d’actualiser et de compléter le texte qui précède (rédigé en février 2014), voir l’analyse de Frédéric Lemaître, dans l’édition du journal Le Monde du 31 mai 2014, page 15, intitulée : « L’Allemagne redécouvre la Première Guerre mondiale ».